24 November 2020
24 November 2020
Temps de lecture : 5 minutes
5 min

Safety Line ambitionne de "devenir le Waze" des pilotes de ligne

Créée par un ex-pilote de ligne et enquĂȘteur au BEA, Safety Line mise sur l’intelligence artificielle pour rĂ©duire la consommation de carburant des avions. La startup parisienne, qui Ă©volue dans l’un des secteurs les plus touchĂ©s par la crise Ă©conomique, mise sur l’impact environnemental de sa solution pour rebondir.
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Le secteur de l’aviation n’exploite pas tout le potentiel du numĂ©rique. C’est le constat qui a poussĂ© Pierre Jouniaux, un ancien pilote de ligne et membre du Bureau d'enquĂȘtes et d'analyses pour la sĂ©curitĂ© de l'aviation civile (BEA), Ă  fonder Safety Line fin 2010. Cette startup parisienne a dĂ©veloppĂ© des solutions qui visent Ă  faciliter la prise de dĂ©cision par l’équipage au cours des vols. C’est par le biais d'une utilisation extensive des donnĂ©es contenues dans la boĂźte noire des appareils qu’elle conçoit des logiciels basĂ©s sur divers algorithmes de machine learning – un crĂ©neau encore peu investi par les entreprises Ă  l’échelle mondiale, selon ses dires.

Établir les paramĂštres de vol idĂ©aux

La data science, Pierre Jouniaux connaĂźt. Au BEA, il a Ă©pluchĂ© Ă  de nombreuses reprises les informations issues de boĂźtes noires – aussi appelĂ©es enregistreurs de vol – lors d’enquĂȘtes au sujet d’accidents aĂ©riens. Dans le cadre d’une mission pour la compagnie aĂ©rienne Vietnam Airlines, il a par la suite tentĂ© de dĂ©terminer "ce qui est faisable" en dehors de circonstances dramatiques – tel qu’un crash. "Ces donnĂ©es sont accessibles en toutes circonstances. Elles ne sont pourtant exploitĂ©es que dans des situations prĂ©cises", indique ainsi Ă  Maddyness l’ancien pilote, Ă©voquant "un gĂąchis".

C’est alors qu’a Ă©mergĂ© chez lui l’idĂ©e de mettre au point une solution visant Ă  optimiser le plan de vol ainsi que diverses manƓuvres. "L’historique et les performances de l’appareil [Ăąge ou modĂšle par exemple, N.D.L.R.] permettent d’établir les paramĂštres idĂ©aux pour un avion donnĂ© sur la base des vols passĂ©s", souligne ainsi Pierre Jouniaux, dont le premier prototype a Ă©tĂ© dĂ©ployĂ© en 2015 sur une poignĂ©e d’engins de Transavia – filiale Ă  bas prix d’Air France. L’expĂ©rimentation a durĂ© deux ans
 et s’est rĂ©vĂ©lĂ©e concluante, puisqu'elle a fait baisser sensiblement la consommation de carburant des avions. Une solution qui se veut Ă  la fois Ă©conomique et Ă©cologique.

La relance du secteur, un mal pour un bien

Safety Line a depuis convaincu 20 compagnies aĂ©riennes, telles que le Malaisien AirAsia ou l’Allemand Tui Fly. Transavia, qui reste nĂ©anmoins son client le plus important, dĂ©voile le bilan chiffrĂ© de son utilisation de la solution sur l’annĂ©e Ă©coulĂ©e. L’entreprise affirme que cette derniĂšre a permis Ă  ses pilotes d’emprunter 1 895 raccourcis lors de vols directs. Chacun de ceux-ci fait Ă©conomiser, en moyenne, 37 kg de carburant et 55 secondes de temps de vol. Sur un an, tous vols confondus, ce sont 35 heures de temps de vol et 84 tonnes de carburant qui ont ainsi Ă©tĂ© Ă©conomisĂ©es – soit quelque 264 tonnes d’émissions de CO2 (dioxyde de carbone) en moins. "Cela reprĂ©sente entre 1 et 2 % d’économies de carburant. Si cela paraĂźt peu, c’est loin d’ĂȘtre nĂ©gligeable au moment de faire les comptes", estime Pierre Jouniaux.

Les comptes des compagnies aĂ©riennes, justement, pourraient voir un autre avantage Ă  la solution Ă  l’heure oĂč la crise Ă©conomique provoquĂ©e par la pandĂ©mie de Covid-19 touche de plein fouet le transport aĂ©rien. Plusieurs pays veulent profiter du contexte pour rendre le secteur plus vertueux en matiĂšre d’environnement. La France, par exemple, a demandĂ© l’interdiction des lignes intĂ©rieures pour lesquelles un trajet en train est rĂ©alisable en moins de 2h30. Le gouvernement a surtout conditionnĂ© un certain nombre de subventions Ă  des exigences en matiĂšre de rĂ©duction des Ă©missions. "Une aubaine" pour Safety Line, qui voit un moyen de rebondir alors que son activitĂ© plafonne Ă  50 % depuis le dĂ©but de l’annĂ©e 2020. "Soit la mĂȘme trajectoire exactement que le trafic aĂ©rien mondial, qui s’établit aujourd'hui Ă  environ 50 % de son niveau d’avant-crise", relĂšve Pierre Jouniaux.

MaĂźtriser l'ensemble de la chaĂźne de valeurs

Forte d’une levĂ©e de fonds de 3 millions d’euros en sĂ©rie A, rĂ©alisĂ©e auprĂšs du groupe ADP, de Safran et Bpifrance en 2017, Safety Line a Ă©tĂ© en mesure de recruter pour atteindre 30 salariĂ©s. Des effectifs qui, s’ils ont temporairement Ă©tĂ© placĂ©s en chĂŽmage partiel une journĂ©e par semaine, doivent lui permettre de dĂ©velopper ses offres, alors que l’optimisation de plusieurs Ă©tapes de vol est dĂ©jĂ  proposĂ©e – dĂ©collage, mais aussi croisiĂšre et atterrissage. "Nous cherchons Ă  rĂ©duire le temps de roulage de façon Ă  utiliser moins de carburant pour manƓuvrer au sol, insiste Pierre Jouniaux, qui fait part de l’objectif de rendre son systĂšme interopĂ©rable. Nous Ă©changeons avec Airbus afin d’intĂ©grer nos solutions Ă  son logiciel d’opĂ©rations aĂ©riennes NavBlue."

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Safety Line se veut confiante malgrĂ© un contexte dĂ©lĂ©tĂšre pour l’aviation. La startup mise sur le fait que les avions Ă©lectriques comme Ă  hydrogĂšne "ne sont qu’un lointain horizon". "Notre choix de mettre le numĂ©rique Ă  profit ne constitue pas une rĂ©volution en soi. Mais, dans l’intervalle jusqu’à ce que celle-ci intervienne, il permet de redorer partiellement le blason d’un secteur attaquĂ© de toutes parts", estime l’ancien enquĂȘteur du BEA, qui pointe l’intĂ©rĂȘt majeur de se pencher plus avant sur le transport de marchandise Ă  l’heure oĂč celui de passagers marque le pas. Avec ses 20 clients, Safety Line a seulement conquis "3 % du marchĂ© mondial". Cela lui laisse, par ailleurs, une marge de manƓuvre importante afin de poursuivre son dĂ©veloppement.

D’autant plus que son principal concurrent, le Toulousain OpenAirlines – qui dispose pour l’heure d’une certaine avance commerciale, avec un total de 45 compagnies aĂ©riennes clientes Ă  date –, ne se livre d'aprĂšs elle pas Ă  une analyse des donnĂ©es en temps rĂ©el. "Il s’agit de contrĂŽle de procĂ©dures de vol a posteriori, alors que nous proposons pour notre part des recommandations aux pilotes au cours du trajet", souligne Pierre Jouniaux qui, s’il concĂšde que les compagnies aĂ©riennes "cumulent souvent" les deux solutions, plaide en faveur de l'avĂšnement de sociĂ©tĂ©s qui maĂźtriseraient l’ensemble de la chaĂźne de valeurs. Son ambition pour Safety Line Ă  moyen terme est on ne peut plus claire : en faire "une sorte de Waze" pour pilotes de ligne.

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